« Japon, société camisole de force » par Miyamoto Masao

Masao Miyamoto est un médecin japonais qui a travaillé au Ministère de la Santé pendant quelques années avant de se faire congédier en 1995. Ce médecin a eut un parcours relativement original car il est parti aux Etats-Unis pour y finir ses études et améliorer sa pratique. Il y restera 10 ans. A son retour au Japon, il entre dans la fonction publique japonaise. Cette expérience sera pour lui un véritable choc culturel…

Le livre que je vous présente ici est le témoignage de ces quelques années passées à « servir la nation japonaise ». Il faut savoir que l’ouvrage a été un véritable succès de librairie au Japon avec plus de 500 000 exemplaires vendus. Beaucoup de Japonais, appartenant ou pas à l’administration japonaise, se sont reconnus dans le quotidien de Miyamoto. Cela en fait une raison de plus pour prêter attention à ses propos.

Pour son entourage professionnel, Miyamoto-san est plus ou moins un « cas à part », et ce, pour deux raisons. Tout d’abord, il intègre la fonction publique en court de carrière ce qui est extrêmement rare dans un pays comme le Japon où l’on préfère « cueillir » les jeunes pousses à la sortie de l’université. Par ailleurs, de part son expérience aux Etats-Unis, Miyamoto-san a un regard critique sur la société japonaise et sur son fonctionnement et n’hésite pas à le faire partager à ses collègues et à sa hiérarchie…pour le meilleur et pour le pire !

Tout au long du livre, il explique en autres les ressorts du conservatisme de la bureaucratie japonaise. Prenons l’exemple du système de notation dans l’administration. La promotion ne se base par sur des « bons points » recueillis au fur et à mesure par les fonctionnaires mais sur l’évitement des mauvais points. Ainsi, prendre une initiative est très dangereux pour sa carrière car si elle échoue, c’en est fini des rêves de promotions, et à nous la photocopieuse ! Il vaut mieux faire profil bas et avancer pas à pas. De facto, la promotion se fait donc à l’ancienneté.

Un autre exemple : le respect des précédents. Les fonctionnaires japonais doivent éviter au maximum de mettre en cause ce que leurs prédécesseurs ont pu dire et donc, pour toute décision à prendre, il faut se baser sur une décision antérieure, autrement dit sur un « précédent ». Ce n’est que comme cela que la décision obtiendra la légitimité nécessaire à son acceptation. On voit bien que dans un tel contexte, le statut quo ne peut être que maintenu.

Miyamoto-san met aussi le doigt sur la conception japonaise de ce qui relève de la sphère privée et ce qui relève de la sphère professionnelle. C’est un lieu de confusion totale si l’on y porte un regard « occidental ». Le privé, ce n’est pas seulement la famille. L’organisme professionnel en fait aussi partiellement parti. La section de travail devient un entre-soi. C’est pour cela que les Japonais n’ont pas honte de se « bourrer la gueule » devant leur patron, bien au contraire. C’est une façon de montrer son appartenance à la « tribu ».

Le regard que porte Miyamoto-san sur les sorties entre collègues est extrêmement sévère. Il a du mal à accepter de devoir passer des heures « inutiles » au bureau et de devoir faire passer certaines affaires professionnelles de seconde importance devant ses engagements privés. On le comprend…

Lire le témoignage de Miyamoto-san, c’est donc découvrir les travers de l’administration japonaise. Il ne faudrait pas néanmoins croire que l’organisation du travail évoquée ici ne concerne que les ministères japonais. Certaines caractéristiques sont communes aux entreprises japonaises dans leur ensemble. Il faut aussi avouer que certaines travers évoqués – je pense notamment à la question du budget – sont certainement commun à la fonction publique française (et d’autres). Il est bon de garder cela en tête pour éviter de tomber dans un discours trop culturaliste.

Le livre de Miyamoto est vraiment un passage obligé pour ceux qui s’intéressent à la psychologie japonaise. Ils y découvriront le fonctionnement interne d’une administration japonaise, et ce, à travers un homme dont le parcours lui permet de pouvoir analyser de façon pertinente ce qu’il a devant les yeux. Et c’est passionnant !

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