« Il était minuit cinq à Bhopal » de Dominique Lapierre et de Javier Moro

3 décembre 1984 – jour de la pire catastrophe industrielle que l’histoire ait connu… jusqu’alors. J’ai pour la 1ère fois entendu le nom de « Bhopal » cet été. Jusqu’alors, jamais je n’avais entendu parler de cet accident industriel qui a pourtant décimé plusieurs milliers de personnes en l’espace de quelques heures.

L’actualité nippone m’a permis de combler cette lacune.

Fukushima et Bhopal ont cela en commun qu’ils ont été des témoins « privilégiés » des conséquences d’un excès de croyance en une science qui promet des « lendemains qui chantent ». Alors, Tepco, Union Carbide, du pareil au même ?

Dominique Lapierre et Javier Moro nous livrent ici le témoignage de cette aventure industrielle. Nous la vivons aux côtés de ceux qui y ont cru, qui y ont travaillé et qui, les premiers, ont douté. L’accident n’apparaît en soi que dans le dernier quart du livre.

Ce choix narratif permet au lecteur de se plonger dans cette Inde des années 70 et 80. Les mauvaises récoltes, les famines, la pauvreté sont autant de maux auxquels les protagonistes sont confrontés. Pour certains d’entre eux, l’espoir prendra la forme de Union Carbide. Pour ces paysans chassés de leurs terres par une énième récolte saccagée, quelle meilleure « vengeance » que de travailler dans une multinationale productrice de pesticides ?

Lapierre et Moro n’oublient pas de rappeler le rêve que pouvait représenter la multinationale aux yeux de ses employés. Les salaires biens supérieurs à ceux en cours sur le marché indiens rajoutés au prestige sociale que pouvait représenter le statut d’employé d’UC permettra à certains de faire vivre leurs familles et à d’autres de trouver un bon parti… Les idéaux promus par la société étaient d’ailleurs des plus nobles ! Permettre aux millions de paysans indiens de pouvoir récolter ce qu’ils avaient semé…

Tout au long du livre, nous suivons de près ceux qui ont fait naître l’usine de Bhopal, ceux qui l’ont chouchouté et qui ont fini par l’abandonner à elle-même. Car l’histoire de cet accident, c’est celui de l’abandon de l’usine. Les dirigeants américains, réalisant qu’ils avaient surestimés le marché indien décide de fermer l’usine. L’appât du gain avait, semble-t-il, aveuglé les « têtes » de la multinationale… Quand l’accident a lieu, l’usine n’était déjà plus en activité mais en maintenance. L’état d’abandon de l’usine rajouté à la mauvaise formation du personnel finira par créer la plus grande catastrophe industrielle que le monde ait connue.

3500 personnes sont officiellement décédées dans la nuit du 2 au 3 décembre 1984. Les associations de victimes clament que ce chiffre ne prend en compte que ceux morts le « jour J ». Les chiffres officieux atteindraient 20 000 à 25 000 victimes.

Ce livre permet de réfléchir au rapport que l’homme entretient à la science. Si la science attise les espoirs de jours meilleurs pour les uns, elle en détruit bien d’autres. Cela n’empêche pas les hommes de continuer à porter en eux un optimisme indéfectible pour la technique et le nouveau. Le Asahi Shimbun, dans son éditorial du 17 juin dira à propos de Tecpo :

« Il faut faire très attention aux possibilités des « pires cas ». Jusqu’à présent, les vérifications étaient effectuées en ayant pour prémisse que les accidents ne se produiraient pas. »

Il semble que 27 ans après Bhopal, la leçon n’ait toujours pas été pleinement comprise…

Bhopal, capitale de l’état du Madhya Pradesh en Inde. C’est dans cette ville du centre de l’Inde que c’est déroulé la catastrophe .

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